Comptabiliser les nouveaux gains de la libéralisation des échanges


Les économistes du commerce pensent généralement qu’en plus de la baisse des prix des biens importés, la libéralisation du commerce apporte également une variété d’importations et des gains de productivité intérieure. Cette colonne rend compte de ces « nouveaux » gains dans un réexamen minutieux de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis. Bien que l’accord ait vu des améliorations du revenu canadien associées à la variété importée et à la productivité intérieure, celles-ci ont été largement compensées par la perte de bien-être associée à la réduction de la variété intérieure. Néanmoins, le bien-être canadien s’est amélioré dans l’ensemble lorsque l’on tient compte des gains « traditionnels » associés à la baisse des prix des importations.
La plupart des économistes du commerce en sont venus à croire que les gains de la libéralisation des échanges vont au-delà de la baisse des prix des biens importés. Inspirés par les « nouveaux » modèles commerciaux de Krugman (1980) et Melitz (2003), ils ajoutent désormais généralement qu’il existe également une nouvelle variété d’importations et des gains de productivité intérieure. L’idée de base est que les consommateurs bénéficient d’un accès à une gamme plus large de produits importés et que la productivité moyenne augmente à mesure que la concurrence oblige les entreprises les plus faibles à fermer. Par exemple, la libéralisation des échanges permet aux consommateurs de profiter d’une variété croissante de produits alimentaires importés tout en secouant les entreprises alimentaires nationales improductives.
Ces idées ont donné lieu à une littérature empirique sur le commerce qui conclut généralement qu’il y a de nouveaux gains importants à tirer du commerce. Par exemple, Broda et Weinstein (2006) évaluent l’ampleur des gains de variété à l’importation et montrent que les consommateurs américains ont largement bénéficié de l’augmentation de la gamme de produits importés à leur disposition entre 1972 et 2001. De plus, Trefler (2004) soutient que les consommateurs canadiens la productivité manufacturière a augmenté de façon significative à la suite de l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis en raison de la sortie des entreprises à faible productivité. Cependant, Arkolakis et al. (2012) avertissent que dans certaines conditions, les modèles commerciaux traditionnels et nouveaux prédisent les mêmes gains du commerce, ce qui semble en contradiction avec la notion de nouveaux gains importants du commerce.
Dans des recherches récentes, nous reconsidérons l’accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis (ALECUS) et prenons soigneusement en compte les nouveaux gains du commerce (Hsieh et al. 2016). Notre comptabilité est basée sur une décomposition exacte des gains du commerce dans un modèle généralisé de Melitz (2003), que nous pouvons relier à des microdonnées confidentielles du Canada et des États-Unis. Notre décomposition révèle que la littérature empirique antérieure n’a fourni qu’un compte rendu incomplet et sélectif des nouveaux gains du commerce. Notre conclusion est que les nouveaux gains du commerce récoltés par le Canada étaient en fait négatifs puisque les consommateurs canadiens ont fortement perdu à la sortie des entreprises canadiennes.
Pour comprendre cela, il est instructif d’examiner les effets de l’ALÉCU sur l’ensemble des entreprises desservant le marché canadien. D’une part, d’autres entreprises américaines se lancent dans l’exportation qui ont tendance à être moins productives que les exportateurs américains en place puisqu’il est maintenant plus facile d’exporter au Canada. D’un autre côté, certaines entreprises canadiennes sortent de la production qui ont tendance à être moins productives que les entreprises canadiennes survivantes puisqu’elles sont maintenant confrontées à une plus forte concurrence des importations en provenance des États-Unis. Intuitivement, la sélection dans la production et l’exportation suit le principe darwinien de la « survie du plus apte », de sorte que les ajustements à ces marges ont tendance à impliquer des entreprises relativement improductives.
Cela signifie que pour mesurer avec précision les nouveaux gains du commerce, nous devons tenir compte à la fois des effets de variété et de productivité pour les entreprises nationales et les entreprises étrangères. Nous devons mesurer les pertes de variétés nationales et pas seulement les gains de variétés importées. Nous devons mesurer les diminutions de la productivité moyenne des entreprises étrangères qui exportent au Canada et pas seulement les augmentations de la productivité moyenne des producteurs nationaux. Notre analyse souligne également que les consommateurs canadiens profitent toujours des nouvelles variétés étrangères et perdent toujours de la sortie des variétés nationales, quelle que soit la productivité. Le fait que, dans la pratique, les entreprises entrantes et sortantes ont tendance à être plus petites et moins productives que les entreprises persistantes ne fait qu’atténuer ces effets sur le bien-être. Ainsi, pour que le Canada tire de nouveaux gains positifs de l’ALECUS, les gains des variétés américaines supplémentaires devraient dominer les pertes des variétés canadiennes moins nombreuses.
Nous estimons qu’au cours des huit années qui ont suivi l’ALECUS, les consommateurs canadiens ont subi une perte de bien-être équivalant à 2,1 % de leur revenu réel en raison de la réduction des variétés nationales disponibles pour les consommateurs. L’augmentation du choix due à l’entrée de nouvelles variétés étrangères ne valait qu’une augmentation de 0,4 % du revenu réel canadien. Le fait que les entreprises nationales sortantes avaient tendance à être plus petites et moins précieuses pour les consommateurs a augmenté la productivité moyenne des entreprises nationales, mais cela ne représentait que 0,3 % du revenu réel au cours de cette période et n’a pas suffi à compenser la perte de variétés nationales. De même, les nouveaux entrants étrangers ont été moins productifs, ce qui a réduit leur contribution au bien-être canadien de 0,2 %. En combinant tous ces effets de variété et de productivité nationaux et étrangers, les nouveaux effets sur le bien-être de l’ALECUS se sont élevés à une réduction de 1,5 % du revenu réel du Canada huit ans après l’entrée en vigueur de l’ALECUS.
Le fait que la réduction de la variété nationale ait largement compensé l’augmentation de la variété étrangère ne signifie pas que le Canada a perdu dans l’ensemble de l’ALECUS. Au contraire, nous constatons que le bien-être du Canada a en fait augmenté considérablement à la suite de cette libéralisation du commerce, les gains globaux s’élevant à 4,4 % du revenu réel. Cela signifie que l’effet traditionnel du commerce – des importations moins chères en raison des réductions tarifaires – l’emportait de loin sur les effets nets négatifs sur la variété et la productivité nette que nous documentons. Le tarif moyen imposé par le Canada sur les importations de produits manufacturés en provenance des États-Unis est passé de plus de 8 % à moins de 2 % à la suite de l’ALECUS, réduisant ainsi considérablement les prix que les consommateurs canadiens ont payés pour les produits américains.
Nos conclusions ne remettent pas en cause la croyance commune des économistes selon laquelle la libéralisation des échanges entraîne des gains de bien-être. Cependant, ils remettent en question l’idée que ces gains résultent d’une augmentation de la variété des produits disponibles ou de la productivité moyenne des entreprises. Alors que ces ajustements de variété et de productivité doivent être pris en considération, le point traditionnel selon lequel la libéralisation des échanges réduit les prix à l’importation reste l’argument le plus important en faveur du libre-échange sur le plan quantitatif.


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